Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la barre du gouvernail. Le navire alors, comme un cheval contenu par une main vigoureuse et dont on tient la bride courte, semble piaffer sur l’écume du golfe ; les flots rasent les bords du pont, du côté où le navire est incliné, et tout le flanc gauche jusqu’à la quille est hors de l’eau. Nous filons ainsi environ vingt minutes, dans l’espoir d’atteindre la petite rade de la ville de Saint-Pierre ; nous voyons déjà les vignes et les maisonnettes blanches à une portée de canon ; mais la tempête augmente, le vent nous frappe comme un boulet ; nous sommes contraints de céder et de virer périlleusement de bord, sous le coup même le plus violent de la rafale. Nous réussissons, et nous sortons du golfe par la même manœuvre qui nous y a lancés ; nous nous retrouvons au large sur une mer horrible. La fatigue de la nuit et du jour nous fait vivement désirer un abri avant une seconde nuit que tout nous fait appréhender comme plus orageuse encore. Le capitaine se décide à tout braver, même la rupture de ses mâts, pour trouver un mouillage sur la côte de Sardaigne. À quelques lieues du point où nous sommes, le golfe de Palma nous en promet un. Nous combattons, pour y entrer, la même furie des vents qui nous a chassés du golfe de Saint-Pierre. Après deux heures de lutte, nous l’emportons, et nous entrons, comme un oiseau de mer penché sur ses ailes, jusqu’au fond du beau golfe de Palma. La tempête n’est point tombée ; nous entendons le mugissement incessant de la pleine mer à trois lieues derrière nous ; le vent continue à siffler dans nos cordages ; mais, dans ce bassin cerné de hautes montagnes, il ne peut soulever que des bouffées d’écume, dont il arrose et rafraîchit le pont, et enfin nous mouillons à trois encâblures de la plage de Sardaigne, sur un fond d’herbes marines, et dans des eaux