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16 juillet 1832, en pleine mer.


Nous avons eu toute la nuit et tout le jour une belle mais forte mer. Le soir, le vent fraîchit, la lame se forme, et commence à rouler pesamment sur les flancs du brick. Lune éclatante, qui prolonge des torrents d’une clarté blanche et ondoyante dans les larges vallées liquides, creusées entre les grandes vagues. Ces lueurs flottantes de la lune ressemblent à des ruisseaux d’eau courante, à des cascades d’eau de neige dans le lit des vertes vallées du Jura ou de la Suisse. Le vaisseau descend et remonte lourdement chacune de ses ravines profondes. Pour la première fois, dans ce voyage, nous entendons les plaintes, les gémissements du bois ; les flancs écrasés du brick rendent, sous le coup de chaque lame, un bruit auquel on ne peut rien comparer que les derniers mugissements d’un taureau frappé par la hache, et couché sur le flanc dans les convulsions de l’agonie. Ce bruit mêlé dans la nuit aux rugissements de cent mille vagues, aux bonds gigantesques du navire, aux craquements des mâts, au sifflement des rafales, à la poussière de l’écume qu’elles lancent et qu’on entend pleuvoir en sifflant sur le pont, aux pas lourds et précipités des hommes de quart qui courent à la manœuvre, aux paroles rares, fermes et brèves de l’officier qui commande ; tout cela forme un ensemble de sons significatifs et terribles, qui ébranlent bien plus profondément l’âme humaine que le coup de canon sur le champ de bataille. Ce sont de ces scènes aux-