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Nous, séparés par le grand mât de cette scène de mœurs maritimes, nous sommes assis sur les bancs de quart, ou nous nous promenons avec les officiers sur le pont, regardant descendre le soleil et monter les vagues.

Au milieu de toutes ces figures mâles, sévères, pensives, une enfant, les cheveux dénoués et flottants sur sa robe blanche, son beau visage rose, heureux et gai, entouré d’un chapeau de paille de matelot noué sous son menton, joue avec le chat blanc du capitaine, ou avec une nichée de pigeons de mer pris la veille, qui se couchent sous l’affût d’un canon, et auxquels elle émiette le pain de son goûter.

Cependant le capitaine du navire, sa montre marine à la main, et épiant en silence à l’occident la seconde précise où le disque du soleil, réfracté de la moitié de son disque, semble toucher la vague et y flotter un moment avant d’y être submergé entier, élève la voix, et dit : Messieurs, la prière ! Toutes les conversations cessent, tous les jeux finissent, les matelots jettent à la mer leur cigare encore enflammé, ils ôtent leurs bonnets grecs de laine rouge, les tiennent à la main, et viennent s’agenouiller entre les deux mâts. Le plus jeune d’entre eux ouvre le livre de prières et chante l’Ave, maris stella, et les litanies sur un mode tendre, plaintif et grave, qui semble avoir été inspiré au milieu de la mer et de cette mélancolie inquiète des dernières heures du jour, où tous les souvenirs de la terre, de la chaumière, du foyer, remontent du cœur dans la pensée de ces hommes simples. Les ténèbres vont redescendre sur les flots, et engloutir jusqu’au matin, dans leur obscurité dangereuse, la route des navigateurs, et les vies de tant d’êtres