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15 juillet 1832, en pleine mer, 8 heures du soir.


Nous avons vu s’abaisser les dernières cimes des montagnes grises des côtes de France et d’Italie, puis la ligne bleue, sombre de la mer à l’horizon a tout submergé : l’œil, à ce moment où l’horizon connu s’évanouit, parcourt l’espace et le vide flottant qui l’entoure, comme un infortuné qui a perdu successivement tous les objets de ses affections, de ses habitudes, et qui cherche en vain où reposer son cœur.

Le ciel devient la grande et unique scène de contemplation ; puis le regard retombe sur ce point imperceptible noyé dans l’espace, sur cet étroit navire devenu l’univers entier pour ceux qu’il emporte.

Le maître d’équipage est à la barre : sa figure mâle et impassible, son regard ferme et vigilant, fixé tantôt sur l’habitacle pour y chercher l’aiguille, tantôt sur la proue pour y découvrir, à travers les cordages du mât de misaine, sa route à travers les lames ; son bras droit posé sur la barre, et d’un mouvement imprimant sa volonté à l’immense masse du vaisseau ; tout montre en lui la gravité de son œuvre, le destin du navire, la vie de trente personnes roulant en ce moment dans son large front et pesant dans sa main robuste.

À l’avant du pont, les matelots sont par groupes, assis,