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elle ne fait point contraste avec la pensée qu’on y apporte, avec la pensée qu’elle exprime ; on n’éprouve pas, à son aspect, cette pénible impression d’une grande idée mal rendue, d’un grand souvenir profané par la main des hommes : au contraire, on se dit involontairement : Voilà ce que j’attendais. L’homme a fait ce qu’il a pu de mieux. Le monument n’est pas digne du tombeau, mais il est digne de cette race humaine qui a voulu honorer ce grand sépulcre ; et l’on entre dans le vestibule voûté et sombre de la nef, sous le coup de cette première et grave impression.

À gauche, en entrant sous ce vestibule qui ouvre sur le parvis même de la nef, dans l’enfoncement d’une large et profonde niche qui portait jadis des statues, les Turcs ont établi leur divan ; ils sont les gardiens du Saint-Sépulcre, qu’eux seuls ont le droit de fermer ou d’ouvrir. Quand je passai, cinq ou six figures vénérables de Turcs, à longues barbes blanches, étaient accroupies sur ce divan, recouvert de riches tapis d’Alep ; des tasses à café et des pipes étaient autour d’eux sur ces tapis ; ils nous saluèrent avec dignité et grâce, et donnèrent ordre à un des surveillants de nous accompagner dans toutes les parties de l’église. Je ne vis rien sur leurs visages, dans leurs propos ou dans leurs gestes, de cette irrévérence dont on les accuse. Ils n’entrent pas dans l’église, ils sont à la porte ; ils parlent aux chrétiens avec la gravité et le respect que le lieu et l’objet de la visite comportent. Possesseurs, par la guerre, du monument sacré des chrétiens, ils ne le détruisent pas, ils n’en jettent pas la cendre au vent ; ils le conservent, ils y maintiennent un ordre, une police, une révérence silencieuse que les