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Nous nous étendons sur nos nattes, sous les caves fraîches et sombres qui restent seules de l’ancien kan. À peine étions-nous assis autour d’un plat de riz froid que le cuisinier nous avait apporté pour déjeuner, qu’un énorme serpent de huit pieds de long, et gros comme le bras, sortit d’un des trous du vieux mur qui nous abritait, et vint se déplier entre nos jambes : nous nous précipitâmes pour le fuir vers l’entrée du souterrain ; il y fut avant nous, et se perdit lentement, en faisant vibrer sa queue comme la corde d’un arc, dans les roseaux qui bordaient le fleuve. Sa peau était du plus beau bleu foncé. Nous répugnions à reprendre notre gîte ; mais la chaleur était si forte qu’il fallut nous y résigner, et nous nous endormîmes sur nos selles, sans souci des visites semblables qui pourraient interrompre notre sommeil.

À quatre heures après midi, nous remontons à cheval. J’aperçois sur un monticule, à peu de distance du fleuve, un cavalier arabe, un fusil à la main, et accompagné d’un jeune esclave à pied. Le cavalier arabe semblait chasser : il arrêtait à chaque instant son cheval, et nous regardait défiler avec un air d’incertitude et de préoccupation. Tout à coup il met sa jument au galop, s’avance sur moi, et, m’adressant la parole en italien, il me demande si je ne suis pas le voyageur qui parcourt en ce moment l’Arabie, et dont les consuls européens ont annoncé la prochaine arrivée à Jaffa. Je me nomme, il saute à bas de son cheval et veut me baiser la main. « Je suis, nous dit-il, le fils de M. Damiani, vice-consul de France à Jaffa. Prévenu de votre arrivée par des lettres apportées de Saïde par un bâtiment anglais, je viens depuis plusieurs jours à la chasse des