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et prêt à saisir mon beau lévrier qui dormait sur la même natte que moi ; charmant animal, qui ne m’a pas quitté un jour depuis huit ans, et que je défendrais, comme une part de ma vie, au péril de mes jours. Je l’avais recouvert heureusement d’un pan du manteau, et il dormait si profondément qu’il n’avait rien entendu, rien senti, et ne se doutait pas du danger qu’il courait : une seconde plus tard, le chacal l’emportait, et l’égorgeait dans son terrier. Je jette un cri, mes compagnons s’éveillent ; j’étais déjà hors de la tente, et j’avais tiré un coup de fusil ; mais le chacal était loin, et le lendemain aucune trace de sang ne témoignait de ma vengeance.

Nous partons aux premiers rayons qui blanchissent les collines de Judée ; nous suivons des collines ondoyantes hors de la vue de la mer ; la chaleur nous fatigue beaucoup, et le silence le plus profond règne dans toute la marche ; à onze heures nous arrivons, accablés de soif et de lassitude, près des rives escarpées d’un fleuve qui roule lentement des eaux sombres entre deux falaises bordées de longs roseaux : il faut toucher ses eaux pour les apercevoir. Des troupeaux de buffles sauvages sont couchés dans les roseaux et dans le fleuve, et montrent leurs têtes hors des flots ; immobiles, ils passent ainsi les heures brûlantes du jour. Ils nous regardent sans faire un mouvement ; nous traversons à gué le fleuve, et nous atteignons un kan abandonné. Ce fleuve est nommé aujourd’hui par les Arabes Nahr-El-Arsouf. L’ancienne Apollonie devait être placée à peu près ici, à moins que sa situation ne soit déterminée par un autre fleuve que nous traversâmes une heure après, et qu’on appelle maintenant Nahr-El-Petras.