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lendemain, la crainte d’une prompte vengeance assurait donc notre route. Dans cette pensée, j’allai camper audacieusement au milieu même du dernier village arabe dont j’ai parlé ; je n’en sais pas le nom : il est bâti (si l’on peut appeler maisons un bloc informe de pierre et de boue) sur l’extrémité même de la plage élevée qui domine la mer de Galilée. Pendant que nos Arabes dressaient nos tentes, je descendis seul la pente escarpée qui mène au lac ; il la baignait en murmurant, et la bordait d’une frange de légère écume qui s’évanouissait et se reformait à chaque retour de ses lames courtes et rapides, semblables aux lames d’une mer douce et profonde qui viennent mourir sur le sable dans le fond d’un golfe étroit ; j’eus à peine le temps de me baigner dans ses eaux, théâtre de tant d’actions du grand poëme moral moderne, l’Évangile, et de ramasser pour mes amis d’Europe quelques poignées de ses coquillages. Déjà le soleil était descendu derrière les hautes cimes volcaniques et noires du plateau de Tibériade, et quelques Arabes qui m’avaient vu descendre seul et qui erraient sur la grève pouvaient être tentés par l’occasion : mon fusil à la main, je remontai droit à eux ; ils me regardèrent, et me saluèrent en mettant la main sur leur cœur. Je rentrai dans les tentes ; nous nous étendîmes sur nos nattes, accablés de lassitude, mais la main sur nos armes, pour être debout à la première alerte. Rien ne troubla le silence et le sommeil de cette belle nuit, où nous n’étions bercés que par le bruit doux et caressant des flots de la mer de Jésus-Christ contre ses rives ; par le vent qui soufflait par bouffées harmonieuses entre les cordes tendues de nos tentes, et par les pensées pieuses et les souvenirs sacrés que chacun de ces bruits réveillait en nous. Le lendemain, à l’aurore, quand nous sor-