Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trompé, me disais-je à moi-même : je ne vois ni les aigles ni les vautours qui devaient, pour accomplir les prophéties, descendre sans cesse des montagnes pour dévorer toujours ce cadavre de ville réprouvée de Dieu, et ennemie de son peuple. Au moment où je faisais cette réflexion, quelque chose de grand, de bizarre, d’immobile, parut à notre gauche, au sommet d’un rocher à pic qui s’avance en cet endroit dans la plaine jusque sur la route des caravanes. Cela ressemblait à cinq statues de pierres noires, posées sur le rocher comme sur un piédestal ; mais, à quelques mouvements presque insensibles de ces figures colossales, nous crûmes, en approchant, que c’étaient cinq Arabes bédouins, vêtus de leurs sacs de poil de chèvre noire, qui nous regardaient passer du haut de ce monticule. Enfin, quand nous ne fûmes qu’à une cinquantaine de pas du mamelon, nous vîmes une de ces cinq figures ouvrir de larges ailes, et les battre contre ses flancs avec un bruit semblable à celui d’une voile qu’on déploie au vent. Nous reconnûmes cinq aigles de la plus grande race que j’aie jamais vue sur les Alpes, ou enchaînés dans les ménageries de nos villes. Ils ne s’envolèrent point, ils ne s’émurent point à notre approche : posés, comme des rois de ce désert, sur les bords du rocher, ils regardaient Tyr comme une curée qui leur appartenait, et où ils allaient retourner. Ils semblaient la posséder de droit divin ; instruments d’un ordre qu’ils exécutaient, d’une vengeance prophétique qu’ils avaient mission d’accomplir envers les hommes et malgré les hommes. Je ne pouvais me lasser de contempler cette prophétie en action, ce merveilleux accomplissement des menaces divines, dont le hasard nous rendait témoins. Jamais rien de plus surnaturel n’avait si vivement frappé mes yeux et mon