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plus profonde, plus étroite et plus pittoresque qu’aucune de celles que nous avions déjà parcourues. À droite et à gauche s’élevaient, comme deux remparts perpendiculaires hauts de trois à quatre cents pieds, deux chaînes de montagnes qui semblaient avoir été séparées récemment l’une de l’autre par un coup de marteau du fabricateur des mondes, ou peut-être par le tremblement de terre qui secoua le Liban jusque dans ses fondements, quand le Fils de l’Homme rendant son âme à Dieu, non loin de ces mêmes montagnes, poussa ce dernier soupir qui refoula l’esprit d’erreur, d’oppression et de mensonge, et souffla la vérité, la liberté et la vie dans un monde renouvelé. — Les blocs gigantesques détachés des deux flancs des montagnes, semés comme des cailloux par la main des enfants dans le lit d’un ruisseau, formaient le lit horrible, profond, immense, hérissé, de ce torrent à sec ; quelques-unes de ces pierres étaient des masses plus élevées et plus longues que de hautes maisons. Les unes étaient posées d’aplomb comme des cubes solides et éternels : les autres, suspendues sur leurs angles et soutenues par la pression d’autres roches invisibles, semblaient tomber encore, rouler toujours, et présentaient l’image d’une ruine en action, d’une chute incessante, d’un chaos de pierres, d’une avalanche intarissable de rochers ; — rochers de couleur funèbre, gris, noirs, marbrés de feu et de blanc, opaques ; vagues pétrifiées d’un fleuve de granit ; pas une goutte d’eau dans les profonds interstices de ce lit calciné par le soleil brûlant de la Syrie ; pas une herbe, une tige, une plante grimpante, ni dans ce torrent, ni sur les pentes crénelées et ardues des deux côtés de l’abîme : c’était un océan de pierres, une cataracte de rochers, à laquelle la diversité de leurs formes, la variété de leurs poses, la bizar-