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Quand la nuit fut venue, on nous servit un souper à l’européenne, dans un kiosque dont les larges fenêtres grillées ouvraient sur le port, et où le vent rafraîchissant du soir jouait dans la flamme des bougies. Je fis défoncer une caisse de vins de France que j’ajoutai à ce festin de l’hospitalité, et nous passâmes ainsi notre première soirée à causer des deux patries que nous quittions et que nous venions chercher : une question sur la France répondait à une question sur l’Asie. Julia jouait avec les longues tresses de quelques femmes arabes ou de quelques esclaves noires qui vinrent nous visiter ; elle admirait ces costumes nouveaux pour elle ; sa mère tressait les longues boucles de ses cheveux blonds, à l’imitation de celles des dames de Bayruth, ou lui arrangeait son châle en turban sur la tête. Je n’ai rien vu de plus ravissant, parmi tous les visages de femmes qui sont gravés dans ma mémoire, que la figure de Julia coiffée ainsi du turban d’Alep, avec la calotte d’or ciselé, d’où tombaient des franges de perles et des chaînes de sequins d’or, avec les tresses de ses cheveux pendantes sur ses deux épaules, et avec ce regard étonné levé sur sa mère et sur moi, et ce sourire qui semblait nous dire : « Jouissez, et voyez comme je suis belle aussi ! »

Après avoir parlé cent fois de la patrie, et nommé tous les noms des lieux et des personnes qu’un souvenir commun pouvait nous rappeler ; après que nous nous fûmes donné tous les renseignements mutuels qui pouvaient nous intéresser, on parla de poésie : madame Jorelle me pria de lui faire entendre quelques morceaux de poésie française, et nous traduisit elle-même quelques fragments de poésie d’Alep. Je lui dis que la nature était toujours plus complé-