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impatientent, ou qu’un vent contraire ne vienne de la côte, et ne nous repousse sur la mer de Candie : cette mer de Syrie, golfe immense, entouré des hautes cimes du Liban et du Taurus, est perfide pour les marins ; tout ce qui n’y est pas tempête y est calme ou courant ; ces courants entraînent invinciblement les navires bien loin de leur route ; et puis il n’y a pas de ports sur les côtes ; il faut mouiller dans des rades dangereuses, à une grande distance du rivage ; une houle presque constante laboure ces rades et coupe les ancres : nous ne serons tranquilles et sûrs d’être arrivés qu’après être descendus à terre. Pendant que nous faisions tous ces raisonnements, et que nous flottions entre l’espoir et la crainte, la nuit tombe tout à coup, non pas comme dans nos climats, avec la lenteur et la gradation d’un crépuscule, mais comme un rideau qu’on tire sur le ciel et sur la terre. Tout s’éteint, tout s’efface sur les flancs noircis du Liban, et nous ne voyons plus que les étoiles entre lesquelles nos mâts se balancent. Le vent tombe aussi ; la mer dort ; et nous descendons chacun dans nos cabines, dans l’incertitude du lendemain.

Je ne dormais pas ; mon esprit était trop agité : j’entendais, à travers les planches mal jointes qui séparaient ma chambre de celle de Julia, le souffle de mon enfant endormie, et tout mon cœur reposait sur elle. Je pensais que demain, peut-être, je dormirais à mon tour plus tranquille sur cette vie si chère, que je me repentais d’avoir hasardée ainsi sur la mer, — qu’une tempête pouvait enlever dans sa fleur. Je priais Dieu, dans ma pensée, de me pardonner cette imprudence, de ne pas me punir de m’être confié trop en lui, de lui avoir demandé plus que je n’avais eu droit de