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ne fortifient la santé de Julia, qui depuis six mois me donne quelquefois des pressentiments funestes. Je salue ces montagnes de l’Asie comme un asile où Dieu la mène pour la guérir ; une joie secrète et profonde remplit mon cœur ; je ne puis plus détacher mes yeux du mont Liban.

Nous dînons à l’ombre de la tente étendue sur le pont. La brise continue, et se ranime à mesure que le soleil descend. À chaque instant, nous courons à la proue pour mesurer la marche du navire au bruit qu’il fait en creusant la mer ; enfin le vent devient frais, les vagues moutonnent ; nous filons cinq nœuds d’heure en heure ; les flancs des hautes montagnes percent le brouillard et s’avancent comme des caps aériens devant nous. Nous commençons à distinguer les profondes et noires vallées qui s’ouvrent sur les côtes ; les ravins blanchissent, les rochers des crêtes se dressent et s’articulent, les premières collines qui partent du voisinage de la mer s’arrondissent ; peu à peu nous croyons reconnaître des villages jetés au penchant des collines, et de grands monastères qui couronnent, comme des châteaux gothiques, les sommets des montagnes intermédiaires. Chaque objet que nous saisissons du regard est une joie dans le cœur ; tout le monde est sur le pont. Chacun fait remarquer à son voisin un objet qui lui était échappé ; l’un voit les cèdres du Liban comme une tache noire sur les flancs d’une montagne, l’autre comme un donjon au sommet des monts de Tripoli ; quelques-uns croient distinguer l’écume des cascades sur les déclivités des précipices. — On voudrait pouvoir, avant la nuit, toucher à ce rivage tant rêvé, tant désiré ; on tremble qu’au moment d’y atteindre, un calme nouveau n’endorme le navire pendant de longues journées sur ces flots qui nous