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majestueuses ; je respire, et je sens mon entrée dans une région plus large et plus haute ! La Grèce est petite, — tourmentée, dépouillée ; c’est le squelette d’un nain : voici celui d’un géant ! De noires forêts tachent les flancs des montagnes de Marmoriza, et l’on voit de loin tomber des torrents blancs d’écume dans les profonds ravins de la Caramanie.

Rhodes sort comme un bouquet de verdure du sein des flots ; les minarets légers et gracieux de ses blanches mosquées se dressent au-dessus de ses forêts de palmiers, de caroubiers, de sycomores, de platanes, de figuiers ; ils attirent de loin l’œil du navigateur sur ces retraites délicieuses des cimetières turcs, où l’on voit chaque soir les musulmans, couchés sur le gazon de la tombe de leurs amis, fumer et conter tranquillement, comme des sentinelles qui attendent qu’on vienne les relever, comme des hommes indolents qui aiment à se coucher sur leurs lits et à essayer le sommeil avant l’heure du dernier repos. À dix heures du matin, notre brick se trouve tout à coup entouré de cinq ou six frégates turques à pleines voiles qui croisent devant Rhodes : — l’une d’elles s’approche à portée de la voix et nous interroge en français ; — on nous salue avec politesse, et nous jetons bientôt l’ancre dans la rade de Rhodes, au milieu de trente-six bâtiments de guerre du capitan-pacha, Halid-Pacha. — Deux bâtiments de guerre français, l’un à vapeur, le Sphinx, commandé par le capitaine Sarlat, l’autre une corvette, l’Actéon, commandée par le capitaine Vaillant, sont mouillés non loin de nous. Les officiers viennent à bord nous demander des nouvelles d’Europe. Le soir, nous remercions le commandant du brick le Génie, M. d’Ornano ;