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Ces noms majestueux que l’épopée élève
Comme une cime humaine au-dessus de la grève,
Que d’avoir concentré dans un seul monument
La puissance et l’effort de ton enfantement,
Et d’avoir fait tailler tes divines statues
Dans le moule des vers, de rhythmes revêtues.
L’immortelle pensée a sa forme ici-bas,
Langue immortelle aussi que, l’homme n’use pas.
Tout ce qui sort de l’homme est rapide et fragile ;
Mais le vers est de bronze, et la prose d’argile :
L’une, lorsque la brise et le soleil des jours
Et les mains du vulgaire ont palpé ses contours,
Sous la pluie et les vents croule et glisse en poussière.
S’évanouit en cendre, et périt tout entière ;
L’autre passe éternelle avec les nations
Se transmet d’âge en âge aux générations,
Résiste aux feux, à l’onde, et survit aux ruines :
Ou si la rouille attente à ses formes divines,
L’avenir, disputant ses fragments aux tombeaux,
Adore encor de l’œil ces sonores lambeaux.
Mais tout homme a trop peu de jours pour sa pensée :
La main sèche sur l’œuvre à peine commencée,
Notre bras n’atteint pas aussi loin que notre œil ;
Soyons donc indulgents même pour notre orgueil.
Les monuments complets ne sont pas œuvre d’homme :
Un siècle les commence, un autre les consomme ;
Encor, ces grands témoins de notre humanité
Accusent sa faiblesse et sa brièveté ;
Nous y portons chacun le sable avec la foule.
Qu’importe, quand plus tard notre Babel s’écroule.
D’avoir porté nous-même à ces longs monuments
L’humble brique cachée au sein des fondements.
Ou la pierre sculptée où notre vain nom vive ?
Notre nom est néant, quelque part qu’on l’inscrive.