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Voilà ce qui fait honte ou ce qui fait frémir,
Gémissement que Job oublia de gémir !

Ton esprit a porté le poids de ce problème :
Sain dans un corps infirme, il se juge lui-même ;
Tes organes vaincus parlent pour t’avertir ;
Tu sens leur décadence, heureux de la sentir,
Heureux que la raison, te prêtant sa lumière,
T’arrête avant la chute au bord de la carrière !
Eh bien ! ne rougis pas au moment de t’asseoir ;
Laisse un long crépuscule à l’éclat de ton soir !
Notre tâche commence et la tienne est finie :
C’est à nous maintenant d’embaumer ton génie.
Ah ! si comme le tien mon génie était roi,
Si je pouvais d’un mot évoquer devant toi
Les fantômes divins dont ta plume féconde
Des héros, des amants a peuplé l’autre monde ;
Les sites enchantés que ta main a décrits,
Paysages vivants dans la pensée écrits ;
Les nobles sentiments s’élevant de tes pages
Comme autant de parfums des odorantes plages,
Et les hautes vertus que ton art fit germer,
Et les saints dévoûments que ta voix fait aimer :
Dans un cadre où ta vie entrerait tout entière,
Je les ferais jaillir tous devant ta paupière,
Je les concentrerais dans un brillant miroir,
Et dans un seul regard ton œil pourrait te voir.
Semblables à ces feux, dans la nuit éternelle,
Qui viennent saluer la main qui les appelle,
Je les ferais passer rayonnants devant toi ;
Vaste création qui salûrait son roi !
Je les réunirais en couronne choisie,
Dont chaque fleur serait amour et poésie ;