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Voguant de cap en cap, nageant de crique en crique.
La barque, balançant sa brise de musique,
Élevait, abaissait, modulait ses accords
Que l’onde palpitante emportait à ses bords,
Et, selon que la plage était sourde ou sonore,
Mourait comme un soupir des mers qui s’évapore,
Ou, dans les antres creux réveillant mille échos
Élançait jusqu’au ciel la fanfare des flots ;
Et moi, penché sur l’onde, et l’oreille tendue,
Retenant sur les flots la rame suspendue,
Je frémissais de perdre un seul de ces accents,
Et le vent d’harmonie enivrait tous mes sens.
 
C’était un couple heureux d’amants unis la veille,
Promenant leur bonheur à l’heure où tout sommeille.
Et, pour mieux enchanter leurs fortunés moments,
Respirant l’air du golfe au son des instruments.
La fiancée, en jouant avec l’écume blanche,
Qui de l’étroit esquif venait laver la hanche,
De son doigt dans la mer laissa tomber l’anneau,
Et pour le ressaisir son corps penché sur l’eau
Fit incliner le bord sous la vague qu’il rase ;
La vague, comme une eau qui surmonte le vase,
Les couvrit : un seul cri retentit jusqu’au bord :
Tout était joie et chant, tout fut silence et mort.

Eh bien ! ce que mon cœur éprouva dans cette heure
Où le chant s’engloutit dans l’humide demeure,
Je l’éprouve aujourd’hui, chantre mélodieux,
Aujourd’hui que j’entends les suprêmes adieux
De cette chère voix pendant quinze ans suivie.
Voluptueux oubli des peines de la vie,