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IV

Le onzième me rappelle un de ces hommes rares qui ne font que traverser sans bruit la vie en laissant une trace ineffaçable dans quelques cœurs. M. Guillemardet, fils de l’ancien ambassadeur de la Convention en Espagne, était un de ces caractères et un de ces esprits purement contemplatifs qui regardent le monde, les choses, les arts, les hommes, mais qui ne s’y mêlent que par le regard. Ce sont les meilleurs des juges en tout, parce qu’ils n’ont point de parti ; les meilleurs des amis aussi, parce qu’ils n’ont point de personnalité, et rien que du dévouement. En général, ces natures d’élite, délicates et tendres, meurent jeunes, parce qu’elles ne jettent pas dans cette boue où n« ms trempons les racines amères mais fortes de nos passions. Quand elles ont bien regardé et bien dédaigné ce triste spectacle du monde, elles se détournent et elles s’en vont. Le jeune homme s’en est allé aussi, mais non sans avoir aimé quelques âmes plus ou moins semblables à la sienne. J’ai été du nombre, et je m’en souviendrai toujours.

Il venait quelquefois l’été passer des mois auprès de nous dans la solitude. On ne s’apercevait pas qu’il y avait un hôte de plus dans la maison, tant il était paisible, silencieux, et, pour ainsi dire, invisible à côté de vous. Seulement, si la conversation prenait un tour philosophique ou sentimental, si l’on se trouvait en face d’un de ces grands problèmes de la pensée, si l’on passait devant un beau site,