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CHAPITRE PREMIER.

santhrope jusqu’au mépris le moins déguisé pour l’espèce humaine, paradoxal jusqu’à l’absurde, Child Harold est partout et toujours, dans ce cinquième chant, le contraste le plus prononcé avec les idées, les opinions, les affections, les sentiments de l’auteur français ; et peut-être M. de Lamartine pourrait-il affirmer avec vérité qu’il n’y a pas dans tout ce poème quatre vers qui soient pour lui l’expression d’un sentiment personnel. Le genre même de l’ouvrage peut rendre raison d’une pareille dissemblance : ce cinquième chant est, en effet, une continuation de l’œuvre d’un autre poëte, œuvre où cet autre poëte célébrait son propre caractère et ses impressions les plus intimes ; sorte de composition où l’auteur doit, plus que tout autre, se dépouiller de lui-même et se perdre dans sa fiction. Ajoutons que ce cinquième chant était même destiné à paraître sous le nom de lord Byron, et comme la traduction d’un fragment posthume de cet illustre écrivain.

« Mais depuis quand un auteur serait-il solidaire des paroles de son héros ? Quand lord Byron faisait parler Manfred, le Corsaire ou Lara ; quand il mettait dans leur bouche les imprécations les plus affreuses contre l’homme, contre les institutions sociales, contre la Divinité ; quand ils riaient de la vertu et divinisaient le crime, a-t-on jamais confondu la pensée du poëte et celle du brigand ? et un tribunal anglais s’est-il avisé de venir demander compte à l’illustre barde des opinions du corsaire ou des sentiments de Lara ? Milton, le Dante, le Tasse, sont dans le même