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avec le lecteur.

c’était hier. J’ai reçu du ciel une mémoire des lieux, des visages, des accents de voix, pour laquelle le temps n’existe pas : vingt ans, pour moi, c’est une nuit. Cette mémoire est celle des choses extérieures ; mais pour les impressions, les attachements, les sentiments, les coups ou les contre-coups reçus une fois au cœur, je n’ai pas besoin de mémoire : cela ne cesse pas de retentir en moi ; cela n’a pas été, cela est ; le passé n’est pas un temps de la langue pour ma nature ; tout y est présent. Une secousse donnée à ma faculté de sentir se perpétue, se répercute et se renouvelle à tout jamais sans s’affaiblir. Le balancier de mon souvenir, sans avoir besoin d’être remonté, a toujours la même oscillation. J’ai véritablement dans ma fibre intérieure ce mystère du mouvement perpétuel, que les mécaniciens cherchent si vainement hors de Dieu. C’est cela qui m’a donné de si bonne heure la conviction et comme la sensation de l’immatérialité de l’âme et de l’infini. Je suis sûr que je ne me tromperai pas d’une circonstance, pas d’un détail, pas d’un mot, pas d’un son de voix, en me rappelant aujourd’hui pour vous ma conversation avec Geneviève. Mais d’abord faisons son portrait : cela est plus difficile, car les mots disent, mais le pinceau seul peint. Je n’ai qu’une langue, et point de pinceau.

II
CONVERSATION AVEC GENEVIÈVE

Je passai quelques jours au presbytère de B***, après la mort et la sépulture de l’abbé D***, que j’ai nommé Joce-