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notes.

qui fait payer cette somme au riche autant de fois qu’il achète et qu’il consomme l’objet imposé. Ainsi, le cigare paye une taxe d’un centime. Je suis pauvre, j’achète un cigare, je paye un centime. Je suis riche, j’achète cent cigares, je paye cent fois un centime. Voilà l’impôt proportionnel sans inconvénient. Ce n’est pas la chose qui est imposée plus, c’est l’usage de la chose, c’est sa consommation. Que si, au contraire, le législateur établit l’impôt sur des objets dont les classes riches de citoyens sont supposées seulement faire usage, comme sur les meubles, les étoffes, les voitures, les chevaux, les chiens, que fait-il dans ce cas ? Précisément le contraire de ce qu’il veut faire : il ruine le peuple qui travaille, en voulant frapper le riche qui fait travailler ; il établit ce qu’on appelle un impôt sur la dépense. Il taxe la dépense, il la punit au lieu de l’encourager ; au lieu de frapper sur le capital, sur les revenus, sur la richesse, choses éminemment imposables, il frappe sur l’usage de la richesse, chose éminemment antipopulaire ! Un impôt sur la dépense dans un temps industriel comme le nôtre, dans une forme de société où des masses innombrables de peuple, d’ouvriers, de prolétaires, d’agriculteurs, ne vivent que de la consommation des produits de la terre, des produits de leurs manufactures, de l’œuvre de leurs mains, c’est une contradiction trop absurde entre la loi et la nécessité, pour que j’insiste un moment de plus. Ce n’est ni plus ni moins qu’un impôt sur le travail, c’est-à-dire un suicide en économie nationale !

Voilà, quant aux lois somptuaires ou impôts de luxe, le véritable effet qu’elles produisent. Vous voyez si elles sont populaires. Mais tous les financiers s’accordent à leur reconnaître un autre inconvénient, qui les fait écarter ou abroger partout : c’est que ces impôts coûtent plus à percevoir qu’ils ne rapportent au trésor. Comme ils ne frappent que sur un très-petit nombre de citoyens et sur des objets qui ne sont pas d’un usage général, quelque élevée que soit la taxe, elle produit peu ; la perception, au contraire, en étant disséminée, difficile, litigieuse, susceptible d’évaluations arbitraires ou contradictoires, et obligée de se contenter de déclarations souvent menteuses, cette perception s’exerçant dans l’intérieur du citoyen, dans le secret même de sa vie domestique, et donnant lieu à des violations de domicile vexatoires, elle coûte des frais considérables au trésor, et donne lieu à la création d’un personnel d’employés dont le salaire dépasse les services. On le reconnaît et on le déplore même en Angleterre, où ces sortes d’impôts ont été inventés. « Mais, dit-on,