Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/469

Cette page a été validée par deux contributeurs.
468
notes.

sédons, nous courons sans cesse après les biens que nous n’avons pas. Un voyage en Italie ou en Suisse forme le complément presque obligé de toute éducation de jeune homme ; mais personne ne s’est encore avisé de penser qu’en France il pouvait y avoir et il y avait d’aussi belles montagnes, des sites aussi remarquables et aussi dignes d’admiration et de curiosité, que ceux de la Suisse. De cela personne ne s’en doute, et les habitants de Grenoble l’ignorent peut-être eux-mêmes. La partie basse du pays est parfois seule parcourue par quelques rares visiteurs qui, ayant à dépenser dans leur course une somme indéfinie de temps, s’inquiètent peu, pour se rendre à Genève, de prendre la route plus courte de la Bresse, ou d’allonger le chemin par les traverses du Dauphiné. N’oublions pas non plus, dans le petit nombre des visiteurs du Dauphiné, les quelques hommes oisifs qui ont toujours à leur service une petite indisposition qui leur conseille d’aller se retremper dans le Styx des eaux minérales d’Aix en Savoie, ou, selon le côté vers lequel a tourné la girouette de leur malade imagination, leur dit de prendre les eaux d’Ariége ou d’Allevard. Puis comptons encore quelques familles d’Anglais nomades, voyageurs par système, coureurs de grandes routes par économie, promenant par toute l’Europe leur spleen, leur faux amour d’antiquités ; passant aujourd’hui en Dauphiné par hasard, comme hier ils traversaient la Savoie, comme demain ils seront sur la route du Nord ou sur celle du Midi ; car ils vont droit devant eux, sans but et sans destination, tant que la route déploie un ruban à parcourir. Mais cette espèce de visiteurs, comme toutes les autres, se borne à explorer l’intérieur d’une ville, à musarder autour de la statue d’une place, à flâner dans une église dont l’apparence est plus ou moins gothique, à bâiller en voulant déchiffrer une inscription d’un vieux tumulus ; elle se borne à côtoyer la partie littorale du Dauphiné, mais se donne garde de s’aventurer vers les rochers des Alpes. Il est vrai de dire que tous n’ont pas, pour tenter ces diverses excursions, les mêmes motifs que ceux qui me décidèrent pour la première fois à les essayer. Ces raisons se trouvent contenues dans une petite anecdote que je n’oserais raconter, si préalablement je ne demandais, en faveur de la brièveté et de l’intention, pardon au lecteur de m’être mis en scène.

» Un soir, on jouait sur le théâtre de Lyon un drame en trois actes et en prose, de ma composition. Le sujet, si larmoyant que je l’avais pu choisir, n’excita d’abord qu’un intérêt assez faible ; mais comme je n’étais pas d’une nature très-exigeante, je me