Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/463

Cette page a été validée par deux contributeurs.
462
notes.

de ces martyrs, les édifiait de son attitude et les encourageait de ses paroles. L’évêque de Beauvais et l’évêque de Saintes, deux frères de la maison de la Rochefoucauld, plus unis par le cœur que par le sang, s’embrassaient, et se réjouissaient de mourir ensemble. Tous priaient, pressés dans le chœur, autour de l’autel. Ceux qui étaient appelés pour mourir recevaient de leurs frères le baiser de paix et les prières des agonisants.

» L’archevêque d’Arles fut appelé un des premiers : « C’est donc toi, lui dit un Marseillais, qui as fait couler le sang des patriotes d’Arles ? — Moi, répondit l’archevêque, je n’ai fait de mal à qui que ce soit dans ma vie ! » À ces mots l’archevêque reçoit un coup de sabre au visage, il reste impassible et debout. Il en reçoit un second, qui couvre ses cils d’un voile de sang. Au troisième il tombe en se soutenant sur la main gauche, sans proférer un gémissement. Le Marseillais le perce de sa pique, dont le bois se brise par la force du coup. Il monte sur le corps de l’archevêque, lui arrache sa croix, et la montre comme un trophée à ses compagnons.

» L’évêque de Beauvais embrasse l’autel jusqu’au dernier moment ; puis il marche vers la porte, avec autant de calme et de majesté que dans les saintes cérémonies. Les jeunes prêtres le suivirent jusqu’au seuil, où il les bénit. Le confesseur du roi, Hébert, supérieur des Eudistes, consolateur de Louis XVI dans la nuit du 10 août, fut immolé ensuite. Chaque minute décimait les rangs dans le chœur. Il n’y avait plus que quelques prêtres assis ou agenouillés sur les degrés de l’autel ; bientôt il n’y en eut plus qu’un seul.

» L’évêque de Saintes, qui avait eu la cuisse cassée dans le jardin, était couché sur un matelas dans une chapelle de la nef. Les gendarmes du poste entouraient sa couche, et le cachaient aux yeux. Mieux armés et plus nombreux que les exécuteurs, ils auraient pu défendre leur dépôt. Ils assistèrent, l’arme au bras, au meurtre. Ils livrent l’évêque comme les autres. — « Je ne refuse pas d’aller mourir avec mon frère, répondit l’évêque quand on vint l’appeler ; mais j’ai la cuisse cassée, je ne puis me soutenir. Aidez-moi à marcher, et j’irai avec joie au supplice. » Deux de ses meurtriers le soutinrent en passant leurs bras autour de son corps. Il tomba en les remerciant. C’était le dernier. Il était huit heures. Le massacre avait duré quatre heures. »