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jocelyn.
moi.
Qu’avez-vous vu ? Parlez !
le pâtre.
Qu’avez-vous vu ? Parlez !Oh ! des choses étranges

Et faites seulement pour les regards des anges.

moi.
Ne m’ouvrez pas ainsi votre cœur à demi.

Je crois en Dieu, berger, et j’étais leur ami !

le pâtre.
Vous voulez donc, monsieur, que je vous le raconte ?

Dieu sait si je vous mens, et pourtant j’en ai honte.
Vous direz : C’est un rêve ! et je ne dormais pas.
Un jour, près des tombeaux j’avais porté mes pas ;
Pour ces trois chers défunts j’avais dit mes prières,
Fait trois signes de croix, et baisé leurs trois pierres ;
Puis, les yeux par mes pleurs encor tout obscurcis,
Non loin, au bord du lac, pensif, j’étais assis.
Aucun vent n’en frôlait la surface limpide ;
L’eau profonde y dormait, transparente et sans ride ;
Et je laissais mes yeux, qui regardaient sans voir,
Avec distraction flotter sur ce miroir.
La cime des glaciers avec ses neiges blanches,
La grotte et ses tombeaux, les chênes et leurs branches,
Et le dôme serein d’un pan de firmament,
Tout s’y réfléchissait, clair, dans l’éloignement.
Soudain l’onde immobile, où mon regard se plonge,
S’illumine ; et je vois, comme l’on voit en songe,
Deux figures sortir du ciel resplendissant,
Aux cimes du glacier descendre en s’embrassant,
Et, comme deux oiseaux dont l’aile est éclairée,
S’abattre sur la grotte et planer à l’entrée.
Ébloui des clartés que l’eau semblait darder,
Sans haleine, j’osais à peine regarder ;