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jocelyn.

Paris, 21 septembre 1800, le soir.

Quelle fièvre ! Oh ! chassez l’image qui me tue !
Est-ce un songe ? est-ce une ombre ? est-ce elle que j’ai vue ?
Ah ! c’est elle ! Ô mon cœur, tu ne peux t’y tromper :
Nulle autre d’un tel coup ne pouvait te frapper !
La revoir !… mais montrée au doigt, mais avilie !
Oh ! dans ma coupe encore il manquait cette lie !


Hier j’étais allé le soir dans un saint lieu,
Pour entendre prêcher la parole de Dieu
Par un vieillard du temple, échappé du martyre,
Dont la voix sur ce peuple a reconquis l’empire.
La foule remplissait le portique et les murs.
Caché dans l’ombre, au pied d’un des piliers obscurs
Où les cierges du chœur, qui brûlaient par centaines,
Jetaient obliquement leurs lueurs incertaines,
J’attendais que le flot du peuple débordé,
Des tribunes au chœur, plein, eût tout inondé ;
Et, le front dans mes mains, appuyé sur la pierre,
J’entendais sans les voir les pas rouler derrière,
Et tout autour de moi les groupes curieux
Qui causaient à voix basse en promenant leurs yeux.
Tout à coup s’éleva comme un murmure immense
D’épis sur les sillons, quand la brise y commence ;
J’entendis frôler l’air ; d’un plumage mouvant
Sur ma brûlante peau mon front sentit le vent.