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jocelyn.

Excepté l’aigle noir, qui, comme un point obscur,
Semble dormir cloué dans l’immobile azur,
Ou qui, bercé là-haut sur ses serres obliques,
S’abaisse en décrivant des cercles concentriques,
Lance d’un revers d’aile au soleil, en plongeant,
De sa plume bronzée un vif reflet d’argent,
Et jette, en me voyant couché près de son aire,
Un cri d’étonnement où vibre sa colère ;
Quand l’arbre ou le rocher répand sous le rayon
Quelque île fraîche d’ombre au milieu du gazon ;
Qu’étendu mollement sur cette couche verte
Du pavillon des cieux seulement recouverte,
L’herbe haute, qu’un poids de fleurs fait replier,
Dans ces gouffres touffus m’engloutit tout entier ;
Que du foin desséché le parfum m’environne,
Et que je n’entends rien que l’air chaud qui bourdonne,
Mon souffle qui se mêle à l’air vierge des cieux,
Ou ma tempe qui bat mon front silencieux ;
Alors je sens en moi des voluptés si vives,
Un si complet oubli des heures fugitives,
Que mon âme, à mes sens échappant quelquefois,
De son corps détaché ne sent pas plus le poids
Que le cygne, essayant son aile déjà forte,
Ne sent le poids léger de l’aile qui le porte.
J’aime dans ce silence à me laisser bercer,
À ne me sentir plus ni vivre ni penser ;
À croire que l’esprit, qu’en vain le corps rappelle ;
A quitté sans retour l’enveloppe mortelle,
Et nage pour jamais dans les rayons du ciel,
Comme dans ces rayons d’été la mouche à miel !
Dans cet état, où l’homme en Dieu se transfigure,
Le temps fuit et renaît sans que rien le mesure ;
On a le sentiment de l’immortalité.
Puis quand un souffle, un vol d’un insecte d’été