Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
MADAME DE SÉVIGNÉ.

appelée en commençant la littérature domestique ou familière, genre dont madame de Sévigné est la plus complète et la plus admirable expression.

Cette littérature est de sa nature toute confidentielle. La maison est murée comme la vie privée. On n’y parle ou on n’y écrit qu’a demi-voix, pour être lu ou entendu au coin du feu des parents et des proches. Les bruits de la maison ne se répandent pas sur la place publique. Ce qu’on publie pour le monde a un accent, ce qu’on confie aux siens en a un autre. On écrit pour le public ou pour la postérité des poëmes, des histoires, des philosophies, des harangues, des romans, des livres, on n’écrit pour la famille que des lettres ; la famille n’a donc, comme l’amitié ou l’amour, qu’un seul genre de littérature, la correspondance. Quand la correspondance a le génie de l’agrément, comme madame de Sévigné, la famille, après sa mort, laisse une a une envoler les feuilles mystérieuses ; le siècle les recueille, tous les siècles les lisent, et le dialogue à voix basse entre une mère et sa fille devient l’entretien de la postérité.

Voilà l’histoire de madame de Sévigné. En décachetant ses lettres, on a enlevé le sceau de son cœur.

Mais ce n’est pas seulement le sceau de son cœur qui a été brisé par cette indiscrétion, c’est le sceau du siècle où elle a vécu.

Cette femme, du fond de sa masure des Rochers, est l’écho d’un règne. C’est ce qui fait que la correspondance de madame de Sévigné, quelque intime qu’elle soit, est cependant essentiellement historique ; c’est ce qui fait aussi que ce livre, écrit par une femme qui écoutait aux portes d’une cour, est très-aristocratique ; que, pour s’y complaire, il faut être né ou avoir vécu dans les régions élevées de la société élégante auxquelles ces lettres font de perpétuelles allusions, allusions qu’on ne goûterait pas si on n’en savait pas un peu la langue, les demi-mots et les