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BOSSUET.

leux et toujours heureux du vers libre que le poëte lance, comme au hasard de le briser dans sa chute, et qui retombe toujours cadencé et toujours juste sur l’idée. Bossuet, comme tous les hommes heureux, aimait ces hasards.

Peut-être aussi cette inexplicable prédilection pour Horace, le moins divin de tous les poëtes, tenait-elle à ce que la poésie avait apparu et Bossuet enfant, pour la première fois, dans les pages de ce poëte. Cette ravissante apparition s’était prolongée et changée en reconnaissance dans son âme. Il y a dans les bibliothèques, comme dans le monde, de mauvaises rencontres qui deviennent de vieilles amitiés.

Mais la Bible effaça tout, excepté ce léger souvenir d’Horace. La Bible, et surtout la Bible poétique, foudroya d’éclairs et d’éblouissements les yeux de l’enfant. Il crut voir le feu vivant du Sinaï et entendre la langue de Dieu répercutée par les rochers de l’Horeb. Son Dieu a lui fut Jéhovah, son législateur Moïse, son pontife Aaron, son poëte Isaïe, sa patrie la Judée. La vivacité de son imagination, le lyrisme de son esprit, l’analogie de sa nature avec la nature orientale, l’enthousiasme de l’âge, la divinité de la langue, la nouveauté éternelle du récit, la majesté des lois, le cri déchirant des hymnes, enfin le caractère de vétusté, de consécration, de divinité traditionnelle du livre firent, à l’instant de Bossuet un homme biblique. Le métal était en ébullition, l’empreinte fut reçue, elle resta à jamais. Cet enfant devint prophète. Tel il naquit, tel il grandit, tel il vécut, tel il mourut. La Bible s’était faite homme.

On ne peut étudier dans les récits de son enfance l’impulsion que Bossuet reçut de cette lecture sans se rappeler ces traces profondes et gigantesques de l’orteil ou du pied d’Adam et de Bouddha, que les habitants crédules de l’Inde ou de l’Arabie montrent aux voyageurs imprimées dans le granit du Liban ou du Tibet. Le roc, pétrifié par les siècles, a gardé en creux l’impression reçue par l’ar-