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GUILLAUME TELL.

leur ouvrir les portes de fer de leur antique servitude.

A minuit Stauffacher, suivi de la jeunesse d’Uri, gravit en silence les escarpes du château de Rosberg, une des citadelles de l’Autriche ; tout dormait dans la demeure forte des tyrans, excepté l’amour et le patriotisme. Une jeune fille, de la race des serfs, qui servait par contrainte dans le château du seigneur, était la fiancée d’un des conjurés. Avertie seulement par lui du jour et de l’heure, elle lui jeta, au fond du précipice, une corde à nœuds attachée aux barreaux de sa fenêtre. Le jeune homme, introduit ainsi avec vingt de ses compagnons dans le château, surprit la garnison allemande dans son sommeil, la désarma, et l’enferma dans la prison de la forteresse. Les vainqueurs laissèrent flotter, comme un piége, le drapeau de l’Autriche sur les remparts ; ce piége y attira le lendemain un groupe de seigneurs qui fuyaient la rébellion des campagnes : ils restèrent les otages des paysans.

A Sarnem, les paysans, cachant leurs armes sous leurs habits, se présentèrent chargés d’agneaux, de chevreaux, de chamois et de poules, comme pour apporter au seigneur les vœux et les tributs du premier jour de l’année. Le seigneur, qui sortait pour se rendre à l’église de Sarnem, les salua en passant, et leur dit d’attendre son retour. A peine avait-il franchi la herse qu’ils la baissèrent, tirèrent leurs armes, cachées sous leurs présents, enchaînèrent la garnison, et, sonnant du haut du donjon la conque de corne de bœuf des montagnes, appelèrent le peuple à la liberté.

Pendant ces surprises ou ces assauts des compagnons de Stauffacher, Walter Furst et Guillaume Tell escaladaient le château, réputé imprenable, d’Uri. Melchthal et ses héros s’emparaient de toutes les autres citadelles. Le soir, des bûchers, allumés par les vainqueurs sur tous ces remparts conquis, répercutaient, de cime en cime et de vague en vague, la première lueur de l’indépendance helvétique,