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GUILLAUME TELL.

les rochers abaissés formaient une échancrure à la côte, et permettaient d’amarrer un esquif dans les temps calmes. Le bruit des vagues contre les parois de la côte le dirigeait. Tout à coup il fit virer la poupe de la barque vers un monceau d’écume, qui laissa à découvert en retombant un écueil ruisselant d’eau courante ; et, s’élançant d’un bond de la barque à terre, il repoussa du pied la poupe aux flots. Les flots la reprirent, l’éloignèrent, l’engloutirent et la relevèrent tour à tour comme un jouet sur leurs collines. Avant que les rameurs de Gessler eussent reconnu, aux premières clartés du matin, la côte d’Altorf et l’anse de Fluelen, Tell, échappé à la mort, avait gravi les collines d’Altort, frappé à la porte de sa maison, embrassé sa femme et son enfant, et repris son arbalète et une flèche.

Cependant le gouverneur, débarqué aussi au milieu du jour, avait envoyé un messager à Altorf, pour chercher ses écuyers, ses chevaux et ses gardes. On lui avait amené son escorte. Il s’avançait dans un chemin creux sur les traces de Tell, jurant à haute voix que si le fugitif ne se remettait pas de lui-même dans ses fers, chaque jour de délai lui coûterait la tête de sa femme ou d’un de ses enfants.

Un homme, caché par les feuilles des arbres de la forêt, entendait ces cruelles menaces ; une flèche siffla à travers les branches, et perça le cœur de Gessler. Il roula de son cheval sans avoir le temps d’achever le serment qu’il faisait au crime : on le releva mort.

Nul ne vit l’archer ; il avait frappé comme la vengeance divine, sans se montrer autrement que par le coup.

Soit que Tell, bien qu’il n’eût tiré la flèche que pour sauver sa femme et ses trois enfants, sur lesquels la mort était alors suspendue, rougît d’avoir frappé en assassin plus qu’en combattant ; soit qu’il ne voulût pas recueillir de gloire d’un acte qui ressemblait par l’apparence à un