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CHRISTOPHE COLOMB.

guides qui leur restaient désormais. Leur découragement consterna tous les matelots. Colomb, qui cherchait en vain à s’expliquer à lui-même un mystère dont la science d’aujourd’hui recherche encore la raison, eut recours à cette puissante imagination, boussole intime dont le ciel l’avait doué. Il inventa une explication fausse, mais spécieuse pour des esprits sans culture, des variations de l’aiguille aimantée. Il l’attribua à des astres nouveaux circulant autour du pôle, dont l’aiguille attirée suivait les mouvements alternatifs dans le firmament. Cette explication, conforme aux principes astrologiques du temps, satisfit les pilotes, et leur crédulité rendit la foi aux matelots. La vue d’un héron et d’un oiseau du tropique, qui vinrent le lendemain voler autour des mâts de la flottille, opéra sur leurs sens ce que l’explication de l’amiral avait opéré sur leur pensée. Ces deux habitants de la terre ne pouvaient vivre sur un océan sans arbres, sans herbes et sans eaux. Ils leur apparurent comme deux témoins qui venaient certifier, avant le témoignage oculaire, les méditations de Colomb. Ils voguèrent avec plus d’assurance sur la foi d’un oiseau. La température suave, égale et sereine de cette partie de l’océan, la limpidité du ciel, la transparence des lames, les jeux des dauphins autour de la proue, la tiédeur de l’air, les parfums que les vagues apportent de loin et qu’elles semblent transpirer en écumant, les lueurs plus vives des constellations et des étoiles dans la nuit, tout semblait, dans ces latitudes, pénétrer les sens de sérénité comme les âmes de conviction. On respirait les présages du monde encore invisible. On se souvenait des jours resplendissants, des astres amis, des ténèbres encore lumineuses des printemps de l’Andalousie. « Il n’y manquait, écrit Colomb, que le rossignol. »

La mer aussi commençait à rouler ses présages. Des plantes inconnues flottaient fréquemment sur les lames.