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JEANNE D’ARC.

dans sa requête, être considérée comme prisonnière de guerre, néamoins, pour récompenser ceux qui l’ont prise et retenue, le roi (c’était le roi anglais des Parisiens) veut bien leur donner six mille francs (somme considérable alors), et au bâtard qui l’a prise, une rente de trois cents livres. » Il offrait de plus, pour sûreté du dépôt qu’il demandait, dix mille francs, « comme pour un roi, un prince, un grand de l’État, ou un Dauphin. »

Le sire de Luxembourg, n’osant résister à la fois au désir secret du duc de Bourgogne, à l’empire des Anglais dans la coalition, à l’université, organe de l’opinion, à l’inquisition, organe de l’Église, céda à regret à ces influences réunies, et remit Jeanne. Crime collectif, où chacun se décharge de sa responsabilité, mais dont Paris à l’accusation, Luxembourg la lâcheté, l’inquisition l’arrêt, les Anglais la félonie et le supplice, la France la honte et l’ingratitude.

Ce marchandage de Jeanne par ses ennemis, dont les plus acharnés étaient des compatriotes, avait duré six mois. Elle avait été arrachée avec douleur aux soins et aux amitiés des femmes de la maison de Luxembourg à Beaurevoir, transportée à Arras, puis enfin enchaînée à Rouen. Pendant ces six mois, l’influence de cet ange de la guerre sur les troupes de Charles VII, son âme qui survivait dans les conseils et dans les camps de ce prince, la superstition patriotique du bas peuple pour elle, superstition que sa captivité n’avait fait que redoubler, l’absence enfin du duc de Bourgogne, lassé de la guerre, enclin à négocier, rassasié de puissance, ivre d’amour et de fêtes, oisif dans ses États de Flandre, toutes ces causes avaient entraîné revers sur revers pour les Anglais, succès sur succès pour Charles VII.

Jeanne, absente, triomphait partout. La haine contre son nom montait à proportion des désastres de leur cause dans