Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 35.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
JEANNE D’ARC.

sentaient que les moyens humains de relever la cause du roi étaient épuisés, et qu’un ressort surnaturel, vrai ou supposé, pouvait seul rendre l’enthousiasme avec l’espérance aux soldats et au peuple. « C’était peut être Dieu qui suscitait ce secours. » Politique ou crédulité, tout était bon pour une cause vaincue et désespérée.

Le Dauphin, flottant, comme la jeunesse, de l’amour à la gloire, et des conseils graves aux conseils féminins, était à une de ces crises d’affaissement moral ou l’on est enclin à tout croire, parce qu’on n’a plus rien à attendre.

Jeanne arriva à Chinon dans ces circonstances. On la logea dans le voisinage, au château du sire de Gaucourt. Visitée par les dames et par les seigneurs de la suite du roi, sa simplicité ramena les uns, édifia les autres. Les chevaliers qui tenaient pour le roi dans Orléans avaient trop besoin d’un miracle pour hésiter à croire à sa mission. Ils envoyèrent quelques-uns des leurs implorer et encourager leur future libératrice. Le Dauphin, à leur instigation, consentit enfin à la recevoir ; mais, dès le premier jour, il voulut l’éprouver.

L’humble paysanne de Domrémy fut introduite, dans son costume de bergère, devant cette cour d’hommes d’armes, de conseillers, de courtisans et de reines. Le Dauphin, vêtu avec une simplicité affectée, et confondu dans les groupes de ses chevaliers richement armés, laissa à dessein la jeune fille dans le doute sur celui d’entre tous qui était son souverain. « Si Dieu l’inspire véritablement, se dit il, il la mènera à celui qui a seul dans ses veines le sang royal ; si c’est le démon, il la mènera au plus apparent d’entre mes hommes d’armes. »

Jeanne s’avança en effet, confuse, éblouie, et comme indécise entre cette foule, mais cherchant d’un regard timide, parmi tous, le seul vers lequel elle était envoyée. Elle le reconnut sans interroger personne ; et, se dirigeant