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JEANNE D’ARC.

laine pour la quête d’automne, afin qu’il sonnât plus long temps les Angelus.

Mais elle s’apitoyait surtout sur le royaume de France et sur son jeune Dauphin, sans mère, sans pays et sans couronne. Les récits qu’elle entendait faire tous les jours par les moines, les soldats, les pèlerins et les mendiants, ces nouvellistes des chaumières en ce temps-la, remplissaient son cœur de compassion pour ce gentil prince. Son image s’associait, dans l’esprit de la jeune fille, aux calamités de sa patrie. C’était en lui qu’elle la voyait périr, en lui qu’elle priait Dieu de la ressusciter. Son esprit était sans cesse tendu de cette rêverie et de cette tristesse. Faut-il s’étonner qu’une telle concentration de pensée dans une pauvre jeune fille ignorante et simple, ait produit enfin une véritable transposition de sens en elle, et qu’elle ait entendu à ses oreilles les voix intérieures qui parlaient sans cesse à son âme ? Il y a si près de l’âme aux sens dans notre être, que si les sens trompent et troublent l’esprit par leur exaltation et leur désordre, l’esprit, de son côté, trompe et trouble facilement les sens. Ces visions et ces auditions merveilleuses, bien qu’elles puissent être illusions, ne sont pas mensonges pour ceux qui les éprouvent et qui les racontent. Merveilles sincères, elles sont phénomènes, quoiqu’elles ne soient pas prodiges. Il est difficile a l’homme, plus encore à la femme, quand ils sont préoccupés jusqu’à la passion d’une idée ou d’un doute, quand ils s’interrogent et qu’ils s’écoutent en dedans, de distinguer entre leur propre voix et les voix du ciel, et de se dire : « Ceci est de moi ; ceci est de Dieu. » Dans cet état, l’homme se rend a lui-même ses propres oracles, et il prend son inspiration pour divinité. Les plus sages des mortels s’y sont trompés comme les plus faibles des femmes. L’histoire est pleine de ces prodiges. L’Égérie de Numa, le génie familier de Socrate, n’étaient que l’inspiration