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GUTENBERG.

lui, sa jeunesse consumée, sa vie persécutée, son nom méconnu, ses sueurs, ses insomnies, et l’oubli de ses contemporains.

Ainsi vécut et mourut ce grand homme : mais son art ne mourait pas avec lui. L’imprimerie se propagea aussitôt sa mort avec l’instantanéité d’une explosion. Il y eut en peu d’années des presses dans toutes les capitales de l’Europe. Ce fut la date de la civilisation renaissante et indéfinie. La France, sous Louis XI, l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne, Venise, Genève, Rome, la Pologne, s’emparèrent à l’envi de l’invention nouvelle pour multiplier leurs livres sacrés et leurs livres profanes.

L’Orient connut cet art nouveau par des juifs réfugiés à Constantinople, qui imprimèrent des traités de littérature rabbinique en 1500. Mais les musulmans ne s’en servirent eux-mêmes que vers le dix-huitième siècle.

Enfin la Russie, sous l’inspection du métropolitain, établit une presse à Moscou, en 1580, a l’aide des ouvriers venus de Magdebourg.

Il semble que chaque progrès de l’humanité doive s’acheter par des larmes ; que la souffrance soit la loi fatale de toute grande initiation. L’imprimerie avait eu ses apôtres : elle eut aussi ses martyrs. De tous, Étienne Dolet fut le plus illustre par l’éclat de son talent, la pureté de sa vie, l’atrocité de son supplice. Il naquit à Lyon en 1509, au moment de la renaissance intellectuelle et littéraire, où les controverses religieuses allaient aussi commencer leurs premières luttes ; il était savant comme Guillaume Budé, poëte comme Marot, et peut-être aussi philosophe comme Rabelais, sans mêler toutefois à sa philosophie le licencieux scepticisme du curé de Meudon. Ce qui pourrait le faire croire, c’est que cet homme ardent et fougueux, qui ne marchandait pas ses opinions, qui avait pris pour armes parlantes et pour symbole de l’action de l’imprimerie, une