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CICÉRON.

élevé du Rubicon jusqu’à Rome, et de Rome jusqu’aux provinces les plus reculées de la domination romaine. Bien qu’on ne se dissimulât pas l’ascendant irrésistible que les armées, leurs chefs, les possesseurs des grands gouvernements prolongés par le peuple et le sénat, les dictateurs enfin, exerçaient sur la république depuis la corruption des mœurs publiques, si l’on ne croyait plus à la vertu, on croyait encore à la pudeur. Le crime sans voile du Rubicon fit tressaillir le sol de l’Italie. On crut un moment qu’il allait engloutir le téméraire qui tournait les armes de Rome contre Rome. César lui-même fut atterré de cette émotion générale produite par son audace. Aussi s’efforça-t-il de l’atténuer en se présentant aux populations sur sa route comme une victime de l’injustice et de l’ingratitude de Pompée et du sénat, qui venait, non asservir son pays, mais demander justice pour ses soldats et pour lui-même. Il affecta de négocier, d’offrir et de discuter des conditions modérées de concorde et de paix, pendant que ses lieutenants, ses émissaires et ses présents intimidaient, marchandaient, embauchaient ou achetaient Rome elle-même dans les murs de Rome. Cicéron, plus caressé par lui qu’aucun des hommes influents de la république, voyait de près les progrès de César, les illusions des honnêtes gens, la dépravation des méchants, la lenteur et la majesté inerte de Pompée. Il aspirait plus que jamais à prévenir le choc par un accommodement pacifique entre les deux rivaux. César lui écrivait fréquemment, et, feignant de le choisir pour arbitre entre Pompée et lui, il remettait en apparence à Cicéron le sort et la responsabilité de l’univers. Mais, en attendant le résultat de l’intervention de Cicéron, il marchait toujours, grossissant son parti dans sa route de toutes les provinces, de toutes les villes, de toutes les légions, dont l’inconcevable indolence de Pompée le laissait successivement s’approcher et s’emparer par la terreur ou par la