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CÉSAR.

Tous les sénateurs avaient comme fui la contagion de ce sang.

Aux premiers retentissements du meurtre hors de la salle, Antoine lui-même, croyant que le fer le cherchait aussi, s’était évadé déguisé en paysan de la Sabine, et avait cherché un asile dans la maison d’un affranchi. Brutus et ses complices se trouvèrent seuls en face de leur victime. Il n’y avait personne pour protester, personne non plus pour accepter le crime : il avait fait place à la république, et la république reculait d’horreur.

Après avoir délibéré un moment entre eux dans le désert, ils résolurent, déjà tristes et abattus, de provoquer du peuple cette approbation du meurtre et cette ivresse de liberté qu’ils n’avaient pu arracher du sénat. Ils sortirent en groupe, Brutus à leur tête, du portique de Pompée, et se dirigèrent vers le Capitole en brandissant leurs poignards dans leurs mains rougies du sang de César et en appelant le peuple à la liberté.

On les regarda passer avec curiosité, mais en silence, comme des hommes dépaysés qui parlent une langue étrangère à leur pays. À peine deux ou trois sénateurs, trop timides pour avoir participé à l’acte, trop ennemis du tyran pour désavouer ses meurtriers, se joignirent-ils à eux dans leur marche au Capitole. Le reste du peuple, riches, pauvres, citoyens, prolétaires, magistrats, plèbe, couraient au hasard, d’une maison à l’autre, comme des hommes saisis de vertige, s’interrogeant les uns les autres, sans que personne osât prendre l’initiative de se réjouir ou de s’affliger, avant que l’impression générale eût éclaté par la douleur ou par la joie de tous.

Brutus cependant avait atteint avec ses amis le Capitole. Le Capitole était une sorte de citadelle fermée par un mur que le peuple ne pouvait escalader. On pouvait néanmoins haranguer de la tribune la multitude sur la place, au pied