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CÉSAR.

presque seule sur une nacelle que le Nil porte la nuit sous les murs du palais des Ptolémées, où César était bloqué par le peuple, se fait envelopper des plis d’un tapis de Perse et porter comme un fardeau inanimé sur les épaules d’un robuste esclave jusque dans l’appartement de César, l’enivre de cette audace, de ce subterfuge et de ses attraits.

L’amour, dès cette apparition, devient toute la politique de César ; il soulève contre lui et contre les Romains l’Égypte entière, en embrassant la cause de son amante ; il oublie son armée, Rome, le monde, il s’oublie lui-même, pour s’ensevelir avec Cléopâtre dans les délices d’un amour effréné ; il croit n’avoir jamais connu que l’ombre de la passion avant cette Égyptienne qui lui prodigue à la fois son empire et ses charmes. Le monde se demande où est César ? Il est enseveli dans un palais assiégé, aux pieds d’une courtisane, reine d’Égypte.

L’extrémité du péril lui rend seul le courage, mais non la raison ; il combat en héros avec une demi-légion et trois cents cavaliers contre les Égyptiens d’Alexandrie et contre vingt mille vétérans romains de l’armée de Sextus Pompée. Il s’enferme dans le théâtre, devenu la dernière citadelle du vainqueur de Pharsale. Sa flotte est incendiée sous ses yeux. Il passe à la nage un bras de mer, tenant ses papiers d’une main, au-dessus des flots, pour gagner une île fortifiée avec les débris de sa légion.

Sextus lui ferme l’Égypte, les vaisseaux des Ptolémées lui ferment la mer. Enfin, des légions appelées à son secours arrivent par la Syrie. Il anéantit dans une seconde Pharsale l’armée d’Égypte ; il consolide Cléopâtre sur un trône désormais incontesté, il s’enivre lentement du double triomphe de l’amant et du héros, il s’arrache avec effort des bras de la reine, et lui laisse dans le petit Césarion un gage avoué de son amour, qui fera régner son sang un jour sur le royaume des Ptolémées.