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CÉSAR.

chemins peu frayés vers le Rubicon. Il y arrive à l’heure où le clairon du matin appelle les soldats mal éveillés hors de leurs tentes. Son cheval favori lui est amené par son écuyer sur une petite colline boisée au sommet et gazonnée sur sa pente, qui s’incline vers le ruisseau.

« C’était, dit Suétone, un cheval unique dans son espèce, qui semblait, comme le Bucéphale d’Alexandre, avoir été prédestiné par le prodige de sa conformation aux prodiges de la destinée de son maître. Ses sabots, au lieu d’être un seul bloc de corne ferré pour résister aux rochers, étaient divisés en doigts articulés qui mordaient le sol et assouplissaient ses mouvements sous le cavalier. Sa tête, sa taille, son encolure et sa crinière répondaient par leur force et par leur grâce à ce miracle de la nature. César, qui l’avait dompté le premier et qui le montait de préférence dans les batailles, l’aimait tellement qu’il lui fit élever un tombeau avec une épitaphe, comme à un compagnon regretté de fortune et de gloire. »

« Quand il fut arrivé, dit Plutarque, d’après les mémoires de ceux qui assistèrent à cette dernière heure de la république romaine, il commença à faire de grandes réflexions ; car, plus il approchait du danger, plus il était combattu et agité par la grandeur et par l’audace de son entreprise. Il s’arrêta donc tout à coup, et, fixe dans la même place, il repassa dans son esprit tous les inconvénients de son dessein, et, plongé dans un profond silence, il changea et rechangea d’avis une infinité de fois avec beaucoup d’agitation et de trouble : c’était comme le flux et le reflux de la mer. Il communiqua même ses angoisses à ses amis qui étaient présents et au nombre desquels était Pollion, et leur fit part de ses doutes et de ses incertitudes, en rappelant tous les grands maux que ce passage de la rivière allait faire aux hommes et le grand sujet de discours qu’il allait fournir à la postérité. »