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CÉSAR.

même Dieu qui a sauvé la république de ses ennemis barbares ne la sauve miraculeusement encore de ses propres fureurs !… Ces craintes et ces calamités sont communes à tous ; mais ce qui m’est personnel dans ces conjonctures, c’est que je suis lié à la fois avec Pompée et avec César, à l’un par ma reconnaissance pour les services qu’il m’a rendus, à l’autre par l’immense popularité dont il jouit… Je comptais et je devais ne jamais avoir à prendre parti pour l’un des deux contre l’autre, tant ils paraissaient unis jusqu’à ces derniers temps ; et les voilà acharnés à se détruire l’un l’autre ! Ils comptent tous les deux sur moi, ou du moins César feint de ne pas douter de mon amitié. Quant à Pompée, il croit sincèrement que sa cause est la mienne, parce qu’elle est en réalité celle de la république. Je reçois des lettres de l’un et de l’autre pleines d’affection et de confiance ; comment me conduire ? Je ne demande pas cela pour le cas où la guerre aurait déjà éclaté et où l’on en appellerait aux armes pour vider leur rivalité ; car, en ce cas, je n’hésite pas à reconnaître qu’il faudrait faire son devoir, et qu’il vaudrait mieux mille fois être vaincu avec Pompée que vaincre avec César. Le plus sage est peut-être de ne pas entrer dans Rome et de solliciter le triomphe pour mes campagnes en Asie Mineure, afin d’avoir un prétexte pour n’être pas présent aux délibérations du sénat. ».

Cependant Cicéron se rapproche de Rome, traverse l’Adriatique, et débarque à Brindes ; il rôde de maison de campagne en maison de campagne autour de Rome sans y entrer. Il déplore en cris chaque jour plus déchirants les malheurs de la patrie.

« Je n’hésiterais pas à me déclarer, s’il ne s’agissait que des intérêts de la république ; mais je la vois sacrifiée aujourd’hui à l’ambition de deux compétiteurs. Si l’on n’agit maintenant que pour elle, pourquoi l’a-t-on abandonnée