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CÉSAR.

Il protége ou asservit à son gré les nations ; sans attendre les ordres du sénat, il prend la dictature insolente de la guerre, il enrôle jusqu’à des légions de Gaulois, il triple le nombre des siennes, il leur distribue le blé gratuitement et double leur solde sans consulter Rome ; il fonde des colonies dans la Gaule cisalpine, entre Turin et Milan, et il y appelle tous les hommes suspects de complicité avec Catilina, comme pour se préparer une nation à lui contre la nation légale ; il y laisse fermenter à dessein les doctrines les plus subversives de la vieille constitution de Rome ; à Rome même il soutient de son crédit, contre les honnêtes gens et contre Cicéron lui-même, la bande révolutionnaire de Clodius ; il lui permet de proscrire Cicéron et de brûler les maisons des prétendus ennemis du peuple. Tous les forfaits de Clodius le font sourire d’une perverse indulgence. En vain Cicéron l’élève au-dessus des proportions humaines dans ses écrits : « Les Alpes peuvent tomber, dit-il dans son livre sur les Provinces consulaires ; depuis les victoires de César, ce rempart est inutile à l’Italie ! »

Enfin les Ptolémées, ces rois opulents, mais tributaires, d’Égypte, lui payent des millions sans distinguer entre le trésor particulier de César et le trésor de la république. Tout ce qu’il reçoit en concussions, il le reverse à Rome en corruptions. Il achète la république avant de l’enchaîner.

Chaque année, pendant les quartiers d’hiver de ses troupes au delà des Alpes, il s’approche de Rome pour y recevoir la visite du peuple romain ; Les magistrats, les sénateurs en masse, les tribuns, les consuls, Pompée lui-même, viennent lui former et Lucques une cour d’adulateurs ou de clients. Rome, pendant ces résidences de César en Toscane, n’est plus à Rome, elle est à Lucques : c’est là qu’il confère avec Pompée, qu’il conspire avec Clodius, qu’il consulte avec ses amis quels consuls et quels