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CÉSAR.

pas vers la Gaule ; il la laissait transpercer avec ses lieutenants dans les confidences de la marche. Il savait que l’espérance démesurée d’une ambition attache les subalternes par leurs rêves.

Une fois, comme il soupait dans une misérable bourgade du sommet des Alpes, quelques-uns de ses jeunes convives, plaisantant avec ironie sur la pauvreté et la relégation aux confins des neiges de ce hameau inconnu, se demandaient s’il pouvait y avoir dans ce village des ambitions, des compétitions de pouvoir et des brigues pour l’autorité comme à Rome. César, qui les entendit, se retourna vers eux et s’étonna de leur doute. « Quant à moi, dit-il en soupirant, comme il avait soupiré à Cadix devant le buste d’Alexandre, j’aimerais mieux être le premier ici que le second dans Rome. »

Jamais la soif de la gloire n’éclata plus franchement dans un cri de l’âme.

L’invasion imminente des Helvètes (Suisses) dans la Gaule centrale fut le prétexte qui appela César.

Un puissant chef de clan, nommé Orgétorix, avait voulu persuader aux Helvètes, ses compatriotes, que leur valeur les rendrait facilement maîtres de toute la Gaule s’ils abandonnaient leur étroit territoire. Il se flattait que la conduite de la horde lui serait confiée, et qu’alors, investi d’une autorité presque absolue, il pourrait, à la faveur d’une telle entreprise, s’emparer de la royauté. Il lia ses intérêts avec ceux de deux autres chefs de clan, l’Édue Dumnorix et le Séquanais Castic, leur promettant de les aider à se faire rois de leurs nations.

Au premier bruit des projets d’Orgétorix, il fut jeté en prison par l’ordre des magistrats helvètes, et mis en jugement devant le peuple comme aspirant à la tyrannie. Délivré par son clan, mais se sentant le plus faible, il se tua de sa propre main.