Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
CICÉRON.

Pendant que le fidèle serviteur était pieusement occupé et errer ainsi sur la grève pour y recueillir ces planches d’esquifs échoués comme son maître, un vétéran romain, vieux soldat de Pompée, retiré en Égypte, qui passait par hasard sur cette plage déserte, aborda Philippe, et lui demanda ce qu’il faisait à cette heure au bord de la mer. « Je suis l’affranchi de Pompée, et je prépare le bûcher pour ses funérailles, » répondit Philippe. Le vieux soldat, élevant ses mains au ciel et s’attendrissant à ce spectacle du maître du monde enseveli furtivement la nuit, par un seul esclave, sur une plage étrangère : « Ah ! dit-il à l’affranchi, il ne sera pas dit que tu aies seul cet honneur ! Permets-moi de me joindre à toi dans ce dernier devoir, comme a un pieux et saint hasard offert a ma vieillesse par la Providence qui m’a confiné depuis tant d’années sur cette terre ingrate et funeste, pour m’y réserver au moins, après tant de malheurs, la consolation de toucher de mes mains les restes et d’accomplir les funérailles du plus grand des Romains ! »

La flamme du bûcher allumé par ces deux hommes pieux brûla jusqu’au jour. Le lendemain, un des amis et des lieutenants de Pompée, Lentulus, arrivant de l’île de Chypre, et côtoyant le rivage sans rien savoir du meurtre de la veille, aperçut du haut de sa galère les dernières lueurs du bûcher qui luttaient avec l’aurore au bord des flots ! « Hélas ! dit-il à ses compagnons, quel est celui qui est venu se reposer enfin ici de ses longs travaux, et rendre sa poussière aux éléments dans ce lieu désert ? » Puis, comme saisi d’un pressentiment prophétique : « Hélas ! hélas ! ajouta-t-il en pensant aux vicissitudes et aux ironies du sort, peut-être est-ce toi, ô grand Pompée ? »

Et c’était lui !

Pendant ces événements, Cicéron, retiré auprès de Caton, dans un petit port de Grèce voisin de Pharsale, assis-