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ACTE II, SCÈNE II

Il faut lui pardonner ces traces d’autrefois,
Car il nous aime au fond.

isaac, avec mépris.

Car il nous aime au fond.Oui, mais à tant par mois !

albert.

C’est l’ami du consul, guide sur et sévère
Qu’il choisit de sa main pour nous servir de père.

isaac.

C’est un vieux conducteur de noirs dépossédé
Du troupeau qu’à sa verge un maître avait cédé ;
Ses lâches cruautés l’ont fait chasser de l’île,
D’où, comme un oppresseur, la liberté l’exile.
Vrai geôlier du consul, froid verrou dans sa main,
Qui nous garde aujourd’hui, qui nous vendrait demain !

Plus bas et d’un ton mystérieux.

Albert ! tu ne sais pas à quoi l’on nous destine ;
Ta partialité pour ces blancs te domine…
On dit…

albert, impatienté.

On dit…Eh ! que dit-on ? et que ne dit-on pas ?

isaac.

Une vieille négresse à moi m’a dit tout bas :
« Défiez-vous de lui ! Je le connais, cet homme,
Bien qu’il ne porte pas le vrai nom qui le nomme ;
Mais il n’a pu changer ni son cœur ni ses traits.
Les nègres dans leur haine ont gardé ses portraits.
De ses atrocités les horribles histoires
Font encore à son nom frissonner leurs mémoires.
Il méprisait le sang, il profanait l’amour ;
Amant, persécuteur et bourreau tour à tour,
Plus d’une belle esclave, à sa mère ravie,
Perdit entre ses bras l’honneur et puis la vie.
Un jour d’un de ces rapts vint à naître un enfant :
Quand il dut fuir devant Haïti triomphant,