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RAPHAËL

désirs coupables où se noient les attachements vulgaires ? Dieu m’a donné à aimer en vous plus qu’une femme ; est-ce que le feu céleste dont je brûle délicieusement ne consume pas en moi tout charbon des désirs terrestres ? Ah ! Julie, prenez de vous une idée plus digne de vous-même, et ne pleurez pas sur les peines que vous croyez m’imposer. Ma vie est un continuel débordement de bonheur, une plénitude de vous seule, une paix, un sommeil dont vous êtes le rêve. Vous m’avez transformé en une autre nature ! »

CXV

Elle le croyait. Je le croyais en le disant moi-même. Je joignais les mains devant elle. Nous nous séparions, enfin, après ces entretiens, elle gardant, moi emportant, pour nous en nourrir, séparés jusqu’au lendemain, l’impression du dernier regard et le contre-coup du dernier accent qui devait nous faire vivre et attendre tout un long jour.

Je la voyais ouvrir sa fenêtre quand j’avais passé le seuil de sa porte, s’accouder entre ses fleurs sur la barre de fer du balcon, me suivre aussi loin que la brume de la Seine laissait se dessiner mon ombre sur le pont. Je me retournais tous les huit ou dix pas, pour lui envoyer mon âme avec mon regard et mon soupir qui ne pouvaient la quitter. Il me semblait que mon être se partageait en deux : ma pensée pour revoler et habiter près d’elle, mon corps s’éloignant seul, comme un être machinal, pour regagner a pas lents, dans l’ombre des rues désertes, la porte de l’hôtel où je revenais me coucher.