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Hélas ! mes yeux à peine avaient reconnu Rome ;
Cet asile des dieux, ce chef-d’œuvre de l’homme,
N’étalait plus alors dans ses vastes remparts
Ces temples, ces palais des dieux et des Césars ;
Les mortels abrités sous ses débris antiques
N’élevaient plus au ciel de somptueux portiques ;
Attendant tous les jours le dernier de leurs jours,
Ils n’embellissaient plus leurs précaires séjours ;
Le soc ne fendait plus leurs tristes héritages ;
Qu’importaient de leurs champs les fruits ou les ombrages
À ces êtres déchus, dont l’espoir incertain
Ne s’étendait, hélas ! qu’à peine au lendemain ?


Ni les lois, ni les mœurs, ni la crainte des peines
De la société ne gouvernaient les rênes ;
La liberté sans frein et la force sans droits
Remplaçaient dans ses murs peuple, tribuns et rois ;
Chaque jour, chaque instant voyait un nouveau maître
Renaître pour périr et périr pour renaître.
Point de culte commun : sur des autels d’un jour
Chacun créant son Dieu, le brisant à son tour,
Mesurant à sa peur ses lâches sacrifices,
Avait autant de dieux qu’il rêvait de supplices !
Seulement, quelquefois, de l’enfer ou du ciel
Descendant ou montant sous les traits d’un mortel,
Un ange de lumière, un esprit de ténèbres
Effrayant les esprits de prodiges funèbres,
Troublant les éléments, commandant au trépas,
Entraînaient un moment les peuples sur leurs pas,
Puis, s’évanouissant comme une ombre légère,
Ils les abandonnaient à leur propre misère,
Confondaient à leurs yeux l’erreur, la vérité,
Et semblaient se jouer de leur crédulité !