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qu’il accomplissait si cruellement était donc arbitraire. Il se faisait à la fois juge et sacrificateur sans interroger la victime ! Et cependant le sacrifice était commandé par la délicatesse, l’honneur, la vertu, l’amour même ! Ma raison se troublait et s’égarait devant une pareille situation.


XXXIII


Quand j’arrivai à Nyon, mon visage était si bouleversé de l’horrible révélation que j’avais à faire, que je n’eus pas besoin de parler. Les femmes qui aiment ont un regard qui perce tout. Avant que j’eusse dit un mot, Régina savait tout !.… J’essayai de nier, de prolonger l’incertitude, de dire que je n’avais pas trouvé de lettres à Genève, que j’y retournerais le surlendemain pour y attendre le courrier de Rome. Ma physionomie mentait. Régina n’y fut pas trompée une minute. La froide raison qu’elle avait trouvée depuis quelque temps dans les expressions de Saluce l’avait à demi éclairée. Elle se précipita sur moi pour chercher sous mon habit le paquet que je m’obstinais à lui cacher. Elle le saisit, elle lut seulement la première ligne qui m’était adressée, et à ces mots seuls : « J’ai fait mon devoir ! » elle jeta un cri d’indignation et de colère comme je n’en ai jamais entendu la vibration que dans le rugissement d’une lionne. « Vilta ! s’écria-t-elle en rejetant loin d’elle la lettre qui lui était adressée à elle-même sans vouloir seulement la décacheter. Renvoyez-lui son adieu, me dit-elle en italien, je ne veux rien de lui, pas même son sacrifice de sa vie à la mienne ! Est-ce que je lui appartiens pour me sacrifier du même coup que lui ? Cruauté et lâcheté ! Lâcheté et cruauté ! criait-elle en piétinant les lettres souillées de sable et de