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de rosée sur sa joue et sur ses épaules. On eût dit qu’elle sortait d’un de ces bains de Diane dont les ondes murmuraient dans les canaux à ses pieds. Jamais encore je ne l’avais vue si belle, et jamais sans doute ces jardins n’avaient été foulés par une plus radieuse image de la joie, de la jeunesse et de l’amour. Je ne comprenais pas, en la regardant, que la douleur osât jamais jeter son ombre sur un pareil front. Elle me semblait inviolable au malheur comme à la mort.

« Quand elle était lasse, elle se suspendait par ses deux mains à mon bras déjà chargé de ses fleurs, et s’y appuyait en exagérant le léger poids de son corps, pour me faire mieux sentir qu’elle était là, et pour sentir mieux elle-même l’appui que je lui prêtais. Elle s’amusait à traîner par moments ses pas, comme si elle eût été trop essoufflée pour marcher si vite ; puis tout à coup elle abandonnait mon bras avec des éclats de doux rire et des défis de l’atteindre, et s’élançait en bondissant devant moi sur le sable des allées.

« Puis elle se laissait dépasser, et me priait alors, en feignant de bouder, de l’attendre. Puis elle se rapprochait, les mains jointes sur sa robe, dans l’attitude de la langueur qui rêve, en me regardant et en paraissant rouler quelque image importune dans sa pensée. Puis elle relevait et secouait tout à coup la tête dans un mouvement de fougue et d’impatience, et s’écriait : « Non ! je ne veux pas y penser, Saluce ; nous avons deux ans ainsi devant nous !

« — Mais comprends-tu, lui disais-je, ce que sera pour nous la vie séparés l’un de l’autre, après deux ans de cette félicité surhumaine !

« — Il y a une Clotilde au ciel, me répondait-elle alors en me montrant du doigt levé une des étoiles qu’on com-