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tillement de ses flots ! Je te dirai une autre fois ce que je répondis.


« P. S. Il suffit que tu saches que cette conversation dans le jardin du cloître, les yeux sur la tombe de son amie et de ma sœur, dans ce silence lumineux du milieu du jour, dura sans être interrompue jusqu’à l’Ave Maria ; que sa nourrice, qui la cherchait vainement dans les jardins, vint enfin la trouver assise à côté de moi sur le banc ; qu’elle me mena en bondissant vers cette femme qui l’adore, en me poussant dans ses bras, en battant des mains et en lui criant : « C’est lui ! » qu’elle me présenta à sa grand’mère infirme, par qui je fus accueilli comme un fils ; qu’elle me mena dans la cellule de ma pauvre sœur, devenue aujourd’hui la sienne, et toute tapissée de ses souvenirs ; qu’elle se jeta à genoux devant un portrait de Clotilde suspendu au pied de son lit, et qu’elle lui dit en le voilant : « Je n’ai plus besoin de toi ; j’ai ton image vivante. Il est là ! J’y suis ! regarde-nous ! Nous allons nous aimer comme autrefois, en ton nom ! »

« Qu’enfin elle me raconta, avec des larmes de dépit et un air d’incrédulité, son mariage, qui ne paraissait pas l’alarmer sérieusement sur son avenir ; que je passai la soirée entre la grand’mère, la nourrice et elle, dans le jardin du couvent et sur la terrasse, à parler de Clotilde ; que la porte du couvent me sera ouverte tous les jours pour aller librement m’entretenir de ma sœur ; que je fais partie de la famille, comme si leur chère Clotilde avait véritablement ressuscité en moi pour elles ! que j’ai les yeux éblouis, l’âme ivre, le cœur noyé de sensations ! que j’ai plus vécu dans cette soirée que dans les vingt-trois années de ma vie, et que si Dieu me disait de choisir entre un siècle à mon choix, sans elle, et la minute où j’ai vu