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la terre ! Vous le voyez, je vis encore d’elle, avec elle et pour elle ! Quand je cueille deux fleurs, il y en a une pour mes cheveux et une pour son cercueil ! Est-ce que vous ne me reconnaissez pas comme je vous ai tout de suite reconnu, vous ? Mais vous ne m’avez pas fait peur : oh ! non ; son fantôme ne m’effrayerait pas ! Je me sens aussi tranquille à présent et aussi accoutumée avec vous que si vous étiez mon frère et moi votre sœur !

« — Oh ! quels noms, mademoiselle, m’écriai-je, vous me permettez là de vous donner ! Frère, sœur, ami !

« — Appelez-moi Régina, de grâce ! me dit-elle en joignant ses deux mains comme pour me supplier, je croirai mieux que c’est Clotilde. Elle ne m’appelait pas mademoiselle, elle ! Moi, je ne vous dirai plus monsieur, mais je vous appellerai Saluce !

« — Oh ! Régina, lui dis-je en l’asseyant sur un des bancs du cloître et en tombant à mon tour à genoux devant elle ; quoi, c’est vous ? C’est vous qui m’attendiez à la place de ma sœur ?

« — Oh ! je ne vous attendais pas, je vous invoquais, reprit-elle en me prenant les mains dans les siennes avec cette confiance naïve d’un enfant qui n’hésite jamais entre une décence et un premier mouvement ; oui, vous ne savez pas, mais elle le sait, elle ! (En montrant d’un doigt étendu la pierre funèbre.) Je vous invoquais tous les jours, là, sur cette pierre ! Je disais à Clotilde : « Si tu veux que je vive, renvoie-moi ton image et ton cœur dans l’image et le cœur de ce frère que tu aimais tant ! qui te ressemblait tant ! » Et elle me répondait, ajouta-t-elle avec un geste d’affirmation surhumain : « Oui. » Elle me répondait : quelque chose me disait qu’elle ressusciterait pour moi en vous, et que de son tombeau, là, comme vous êtes sorti, sortiraient son image et son amitié pour